Ma charmante marchande...
Je retournais chez celle qui fut ma charmante marchande. Il était évident qu'elle avait aussi été portée par l'âge. A travers les croûtes et les taches parsemées sur son visage, je retrouvais la beauté d'une peau jadis ferme et vigoureuse, le teint pâle et rougeoyant des fruits juteux et sucrés qu'elle eût vendus. Son visage était couronné d'une chevelure blanche, légèrement blondissante, par endroits, le manque de cheveux laissait apparaître son crâne. Ils avaient put être orange il y a longtemps de cela, ils ruisselaient sur ses épaules tels l'eau nourricière de ses denrées. Leur couleur éclatante eût été assortie à l'harmonie des couleurs abondantes les beaux jours de marché. Son front tranché de rides laissait apparaître sa peau à nu, bosselée comme un fruit trop vieilli qui se morcelle quand on le prend d'une main ferme, son nez était pendant, ramolli, il avait trop longtemps cherché les meilleurs fruits pour ses heureux clients, il en est las. Cependant ses doigts ont gardé la finesse et l'expérimentation qu'ils eurent à tâter légumes et fruits avec volupté. Ses lèvres pulpeuses ne sont plus qu'à peine apparentes et s'ouvre entre elles une large entaille jaunie par les dents, comme un fruit qui aurait été ouvert pour tester son jus. Et ses joues autrefois colorées, fermes, s'étaient relâchées et avaient noircies, elles semblaient s'être asséchées. Son cou fut doux, blanc et eût enfermé l'odeur sucrée de son quotidien. Cette odeur était restée son quotidien, mais s'est métamorphosée en odeur âcre, une
odeur d'humidité et de pourriture. Ses prunelles, seules, à travers quelques boursouflures, avaient gardé le bleu ciel qui m'illuminait comme il eût illuminé ses clients ainsi que ses joyaux des terres et des arbres. Elle était la nature vieillissante, elle était descendue de son arbre seule, elle qui a été autrefois un fruit vif et ferme, elle a trop mûrie avant d'être cueillie et finit son cycle dans la décomposition naturelle.